GUINÉE : PROJET CONSTITUTIONNEL DÉPOURVU DE TOUT INTÉRÊT

Publication du site « leguepard.net » du 29 août 2024
Projet constitutionnel dépourvu de tout intérêt, des coups tordus à peine voilés en matière de désignation des Sénateurs et l’impertinence notoire de la création du Sénat et des organes d’appui à la démocratie      
   L’avant-projet de la future Constitution fait actuellement l’objet de débat en République de Guinée. Débat auquel je ne voulais pas prendre part du fait de ma grande déception consécutive au massacre constitutionnel auquel s’était livré l’ancien président Alpha CONDÉ en quête de son illégal troisième mandat. Comme on le dit, il faut rendre à « César ce qui est à César ».  En plus de nombreuses sollicitions de ma participation à ce débat, c’est grâce à celles de Dr Abdoul BALDÉ le consultant du site « Leguapard.net » que j’ai décidé de modestement participer à ce débat qui est pour moi, une cause perdue d’avance du fait que le CNRD ne reculera devant rien dans sa volonté de confiscation du pouvoir. Selon Dr Abdoul BALDÉ, mon silence après 20 ans de débat constitutionnel ne sera pas compris par mes lecteurs. Raison pour laquelle, je vous livre le résultat de ma modeste observation qui s’échafaude au tour des deux points suivants : 
I- Nouvelle constitution dépourvue de tout intérêt
II- Des coups tordus à peine voilés en matière de désignation des sénateurs et l’impertinence notoire de la création du Sénat et des organes d’appui à la démocratie
Je ne souhaite pas m’étendre sur d’autres anomalies et incohérences de cet Avant-projet du fait que ce combat me semble perdu d’avance, donc inutile d’y consacrer trop de temps. 
I- Nouvelle constitution dépourvue de tout intérêtIl est préalablement utile de se questionner sur l’intérêt d’une nouvelle constitution pour la Guinée, alors que la Constitution de 2010 illégalement paralysée par l’ancien président Alpha CONDÉ a des atouts et garanties largement suffisants pour une Constitution démocratique. D’ailleurs, le président Alpha CONDÉ ne s’était heurté à aucun obstacle d’ordre constitutionnel lors de l’exercice de ses deux premiers mandats. Les problèmes de la Guinée ne découlent pas de l’imperfection de ses différentes Constitutions, mais de leurs violations systématiques par les différentes autorités en charge d’assurer leur respect. L’exemple parfait nous est donné par le CNRD lui-même qui avait concocté la Charte de la transition de façon unilatérale, mais qu’il n’a jamais respectée. Il en est ainsi entre autres, de l’article 46 de la Charte de la transition relatif à l’exclusion de candidature des membres du CNRD des différentes futures élections nationales et locales, qui est sur le point d’être violé par le biais de cette future nouvelle constitution. Cette exclusion des membres du CNRD des différentes élections jusqu’à la fin de la transition est consacrée par l’article 46 de la Charte de la transition qui dispose que : 
« Le Président et les membres du Comité National du Rassemblement pour le Développement ne peuvent faire acte de candidature ni aux élections nationales ni aux élections locales qui seront organisées pour marquer la fin de la Transition. La présente disposition n’est susceptible d’aucune révision ». 
Malgré l’interdiction de leur candidature et le caractère intangible des dispositions de cet article 46 de la Charte, le président de la transition et les membres du CNRD ne sont plus exclus des élections nationales, faute de la reprise de cet article dans la future Constitution, en totale violation de leur propre Charte unilatéralement imposée aux Guinéens. Qui peut croire un instant que le CNRD respectera la future Constitution ? 
Le président du CNT monsieur Dansa KOUROUMA vantait la solidité de la nouvelle constitution sur France24, qui, selon lui, comporte 9 intangibilités. Donc, pour lui, une Constitution inviolable et non susceptible de révision pendant 30 ans. Monsieur Dansa KOUROUMA a-t-il oublié que la Constitution de 2010 dont il avait participé au démantèlement en soutien au président Alpha CONDÉ comportait plusieurs intangibilités ?  A-t-il oublié que pour neutraliser les intangibilités de la Constitution de 2010, ils l’ont simplement fait remplacer par une autre ? Qui empêchera un jour, que leur Constitution soit jetée à la poubelle de l’histoire avec ses intangibilités au profit d’une autre Constitution ?
Ils doivent constater qu’une Constitution est écrite avec de l’encre (inerte) sur des feuilles (inertes), qui ne peuvent se défendre. Il n’y a pas non plus un policier ou un militaire armé derrière chaque article de la Constitution pour assurer sa défense. Quelle que soit la qualité d’une constitution, même avec 1500 intangibilités, elle ne résistera pas à la volonté de sa violation par les autorités en charge de sa protection.   D’ailleurs, le fait de prévoir que toutes les dispositions de la future Constitution seront insusceptibles de révision durant les 30 prochaines années traduit leur ignorance de l’une des définitions de la loi, à savoir : « l’ensemble des règles régissant les relations d’une société donnée à un moment donné ».  Ce terme « à un moment donné » signifie que la loi peut évoluer dans le temps dès que le besoin se fera sentir. Par exemple, les règles (au sens large du terme, donc, y compris la Constitution) qui régissaient les relations de certaines sociétés comme la Guinée en 1980, ont connu beaucoup de changements entre 1980 et 2024. 
Certaines dispositions constitutionnelles, telles que celles relatives à la protection de l’environnement et de stockage de déchets toxiques sont d’apparition très récente, imposée par les circonstances récentes. Fallait-il attendre 30 ans pour y faire face ? Il y a même des adoptions des dispositions constitutionnelles qui s’imposent du fait que la nécessité de leur adoption résulte des conventions internationales. Il en est ainsi entre autres, des dispositions de l’article 6 de la Constitution de 2010 et de l’article 9 du présent Avant-projet constitutionnel qui résultent de l’article 2 de la convention de New York 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants qui dispose que : 
« 1. Tout État partie prend des mesures législatives, administratives, judiciaires et autres mesures efficaces pour empêcher que des actes de torture soient commis dans tout territoire sous sa juridiction.2. Aucune circonstance exceptionnelle, quelle qu’elle soit, qu’il s’agisse de l’état de guerre ou de menace de guerre, d’instabilité politique intérieure ou de tout autre état d’exception, ne peut être invoquée pour justifier la torture.3. L’ordre d’un supérieur ou d’une autorité publique ne peut être invoqué pour justifier la torture ».
Que certaines dispositions constitutionnelles telles que le nombre de mandat présidentiel et sa durée soient insusceptibles de révision est tout à fait acceptable du fait que cela n’aura aucun impact négatif sur le fonctionnement des institutions. Le nombre de mandat est limité dans beaucoup de pays tant en Afrique que sur d’autres continents et la démocratie n’en souffre absolument pas. Par contre, figer toute une Constitution pour une durée de 30 ans est tout simplement incroyable et difficilement justifiable !   
Je réaffirme que la Guinée n’a pas besoin d’une nouvelle Constitution. La réhabilitation de celle de 2010 est largement suffisante car, les problèmes de la Guinée ne découlent pas de l’imperfection de ses différentes constitutions, mais de leurs violations systématiques par les différentes autorités en charge d’assurer leur respect.             II- Des coups tordus à peine voilés en matière de désignation des Sénateurs et l’impertinence notoire de la présence du Sénat et des organes d’appui à la démocratie 
A- Des coups tordus à peine voilés en matière de désignation des SénateursLe premier constat est que le tiers (1/3) des sénateurs n’est pas élu, mais, désigné par le président de la République. Si cela existe dans certains pays, il est inhabituel en République de Guinée. Donc, il s’agit de donner un avantage considérable au président de la République du fait qu’avec le tiers des sénateurs choisis par lui (33,33% des sénateurs), il ne faudra pour son parti politique que de 17 % des sénateurs élus pour avoir une majorité absolue de 51,33% au Sénat. En plus, cet avantage peut avoir d’autres impacts politiques en matière d’adoption des lois dans les domaines de compétences communes aux députés et aux Sénateurs en vertu des articles 115 et 116 du présent Avant-projet constitutionnel. Le fait aussi que le tiers (1/3) des représentants du peuple au Sénat n’est pas élu par le peuple, mais désigné par le président de la République devant lequel il doit défendre les intérêts du peuple, est une anomalie démocratique flagrante. Si c’est ton adversaire qui choisit ton avocat à ta place, alors tu es mal parti. Ce sont des artifices consistant à se donner un nombre important de parlementaires non élus, qui s’additionneront aux parlementaires élus afin de faire échec à la volonté des Sénateurs et députés non favorables à la politique du gouvernement. C’est un véritable coup tordu.    
B – L’impertinence de la présence du Sénat et des organes d’appui à la démocratie 
Quels intérêts pour la Guinée de créer un Sénat et des organisations d’appui à la démocratie ? Ces institutions constituent des sources de dépenses importantes et incompressibles du fait qu’il s’agit des dépenses liées aux rémunérations mensuelles et aux budgets de fonctionnement des institutions en question. Dans l’incapacité d’assurer le paiement régulier des traitements des fonctionnaires actuels, comment un État responsable peut imaginer créer des charges inutiles supplémentaires ? D’ailleurs, l’article 173 du présent Avant-projet consacre le caractère prioritaire des crédits relatifs au fonctionnement desdites institutions en disposant que : 
« Les crédits nécessaires au fonctionnement de chaque Institution d’appui à la gouvernance démocratique sont inscrits au budget national et exécutés comme dépenses prioritaires ». 
Au lieu de donner un caractère prioritaire aux crédits relatifs au bon fonctionnement de l’éducation nationale moribonde, des hôpitaux mouroirs, à la lutte contre la corruption, le trafic international de drogue…, nos illuminés nous proposent d’autres sources de dépenses inutiles mais prioritaires ! Il est légitime de se demander si les auteurs de cet Avant-projet n’aménagent pas ces institutions et les postes qui en découleront comme leur point de chute après la transition, en récompense pour service rendu, non pas au peuple de Guinée, mais au CNRD ?   
La création de ces institutions d’appui à la démocratie est une source de grande confusion du fait que leurs compétences relèvent forcément des différents ministères d’un gouvernement. Il en est ainsi par exemple du fait d’attribuer des compétences en matière de définition des stratégies nationales et régionales de développement à la Commission nationale pour le développement en vertu de l’article 174 de cet Avant-projet constitutionnel qui dispose entre autres que : 
« La Commission nationale pour le développement a pour mission de contribuer à la définition des stratégies nationales et régionales de développement. Elle concourt à la définition des meilleurs standards de contrôle et de suivi de la cohérence des politiques et programmes nationaux de développement …. ». 
Pourtant, cette compétence est celle du gouvernement en vertu de l’article 87 de ce même Avant-projet qui dispose que : « Le Gouvernement définit et met en œuvre la Politique de la Nation, sous l’autorité du Président de la République. Il est constitué du Premier ministre, de ministres et de Secrétaires d’État ». 
De ce qui résulte de l’article précité, c’est le gouvernement qui définit et met en œuvre la politique de la Nation, toute la politique donc, y compris et surtout, la politique de développement de la Nation. Pour quelle raison créer une institution supplémentaire alors que le premier ministre chef du gouvernement dispose de l’administration avec toutes ses ressources humaines et en plus, il peut nommer aux emplois civils ? Ne peut-il pas choisir des compétences pour ses ministères ou pour d’autres niveaux de l’administration à la place de création d’autres institutions ?  Pour éviter d’être très long, je ne m’étends pas sur le cas de la Commission nationale de l’éducation civique et des Droits de l’Homme dont les compétences peuvent être reparties entre le ministère de l’éducation nationale pour le volet éducation civique et le ministère de la justice et des droits de l’Homme pour le volet protection et promotion des Droits de l’Homme.     En résumé, cet Avant-projet constitutionnel n’apporte rien d’extraordinaire. Même la candidature indépendante qu’il prévoit est un appât pour attirer le soutien des défenseurs de cette idée pendant cette période difficile pour le président de la junte qui a décidé de violer son engagement de ne pas se porter candidat aux différentes élections nationales. Vous le verrez le moment venu, les candidatures seront conditionnées au paiement de caution suffisamment élevée qu’elle dissuadera plus d’un. Cette technique consiste à créer ce qui parait être un avantage pour les besoins d’une cause, puis après, mettre en œuvre des conditions insurmontables pour la grande majorité pour en bénéficier. Si l’idée est louable, l’intention ne l’est absolument pas.  
Ne soyons pas dupes. Les deux principaux objectifs de ce projet constitutionnel consistent à éliminer les leaders politiques ayant une assise forte sur l’ensemble du territoire national en fixant un âge butoir (80 ans) pour la candidature à la présidence de la République d’une part, et d’autre part, de permettre au président de la junte de violer son engagement de ne pas se porter candidat aux différentes élections nationales jusqu’à la fin de la transition en ne reprenant pas l’article 46 de la Charte de la Transition dans la nouvelle constitution. 
Le peuple de Guinée a le droit de résister, il doit résister car la résistance à l’oppression telle que pratiquée par le CNRD est un droit naturel, inaliénable et imprescriptible.    


MAKANERA IBRAHIMA SORY ENSEIGNANT EN DROIT ET FISCALITÉ