La récente désignation d’un certain Kaba au poste de Khountigui de la Basse-Guinée a suscité une vague de réactions indignées sur certains réseaux sociaux. Certains y ont vu le signe d’une prétendue domination symbolique et politique de la Haute-Guinée sur la Basse-Guinée, voire sur l’ensemble du pays. Ces interprétations traduisent une méconnaissance profonde des dynamiques historiques et sociales qui ont façonné les identités en Guinée.
En effet, l’existence de Kaba en Basse-Guinée ne relève ni d’une intrusion récente, ni d’une anomalie. Leur présence dans cette région remonte à la fin du XVIIIe et au début du XIXe siècle, époque marquée par des mouvements commerciaux et religieux, notamment liés au commerce du sel et à la propagation de l’islam.
Ces Kaba, aujourd’hui devenus Soussou, se sont progressivement intégrés à cette communauté depuis plus de deux siècles.
Cette trajectoire historique illustre la plasticité des identités ethniques, lesquelles se construisent, se transforment et s’adaptent au gré des interactions sociales, des alliances matrimoniales et des contextes géopolitiques. De manière analogue, l’ancêtre des Soumah (Soumba Toumani), souvent présenté comme l’incarnation d’une identité authentiquement Soussou, trouve lui-même ses origines dans l’actuelle République du Mali.
Ces exemples démontrent que l’ethnie, loin d’être une essence immuable, est une catégorie historiquement contingente et socialement construite, susceptible de mutations en fonction des conjonctures historiques. En l’espace de cinq générations, une même famille peut aisément changer d’appartenance ethnique à plusieurs reprises, les affiliations s’adaptant aux contextes locaux et aux opportunités socio-économiques.
De surcroît, les systèmes de filiation, qu’ils soient patriarcaux ou matriarcaux, complexifient davantage la détermination d’une appartenance ethnique stricte. Une personne peut revendiquer l’ethnie de sa mère tout en portant le patronyme de son père, appartenant à un autre groupe ethnique.
Il est regrettable de constater à quel point la question ethnique tend à monopoliser et polariser l’attention d’une grande partie de la société guinéenne, au détriment de problématiques autrement plus structurantes. Ces dernières incluent la quête de justice sociale, l’accès à une éducation de qualité pour les populations les plus éloignées et marginalisées, notamment en milieu rural, ainsi que la création d’emplois porteurs de sens et de dignité. Ce glissement d’attention révèle une tendance inquiétante à privilégier des débats identitaires souvent instrumentalisés, au lieu de s’attaquer par exemple aux conditions matérielles qui déterminent l’existence des populations des zones rurales, et qui constituent pourtant des enjeux essentiels pour la construction d’une nation solidaire.
Dans un tel contexte, il est urgent que les intellectuels et les spécialistes des sciences sociales s’emparent de ces questions, afin de déconstruire les récits simplificateurs et instrumentalisés qui alimentent les tensions identitaires. Ces problématiques, particulièrement sensibles dans une nation où le processus de construction nationale reste largement inachevé, ne sauraient être abandonnées aux acteurs politiques et à leurs militants. La nation, en tant que projet collectif, exige une approche rationnelle et informée des dynamiques sociales et historiques, loin des discours passionnels et des représentations figées de l’identité.
Dramane Diawara (DD)
Jeune Intellectuel guinéen